Des pénuries d’électricité en Chine menacent l’économie mondiale

Alors qu’Evergrande est au centre des projecteurs du côté de la Chine, un autre potentiel problème menace l’économie chinoise et par ricochet l’ensemble des chaînes d’approvisionnement mondiales : une pénurie d’électricité. Les coupures de courant ne sont pas rares en Chine mais ont pris une ampleur exceptionnelle ces derniers jours, poussant à l’arrêt de nombreuses usines dans plusieurs grandes régions industrielles. 

Les autorités du Guangdong, où se concentrent plus d’un quart des exportations chinoises, ont commencé à restreindre l’électricité au printemps mais les coupures sont de plus en plus fréquentes. Désormais, au moins 20 provinces et régions chinoises sont concernées, comptant pour les deux tiers du PIB du pays. Dans le Jiangsu (au nord de Shanghai) des aciéries ont été priées de fermer et certaines villes ont éteint leurs réverbères. Dans le Zhejiang (au sud de Shanghai), des usines textiles ont été mises à l’arrêt. 

Les pénuries commencent également à se répercuter sur la population. Dans le Guangdong, les 126 millions d’habitants sont priés de ne pas faire marcher leurs climatiseurs en dessous de 26 degrés et de ne pas prendre l’ascenseur lorsqu’il s’agit de monter dans les trois premiers étages. A Zhongshan, les horaires d’ouverture des centres commerciaux sont réduits pour limiter la climatisation et l’éclairage. La municipalité d’Huludao, dans le Liaoning, a demandé aux habitants de ne pas utiliser d’appareils gourmands en électricité, comme les chauffe-eaux ou les fours à micro-ondes, pendant les périodes de pic de consommation, soit entre 10h00 et midi, de 15h00 à 16h00 et de 19h00 à 20h00.

Au-delà, les chaînes de production mondiales pourraient être touchées. Yunnan Aluminium, qui produit 10 % de l’aluminium chinois , a connu des pertes d’activités. Les matières premières et l’industrie chimiques sont impactées. Plusieurs fournisseurs importants d’Apple et de Tesla ont suspendu la production de certaines usines pendant plusieurs jours afin de se conformer aux ordres des autorités. Des fabricants taïwanais de semi-conducteurs, secteur qui fait déjà face à une pénurie mondiale et à une forte augmentation des prix, ont également fait part de difficultés.

Les secteurs de la sidérurgie, de l’aluminium et du ciment souffrent déjà de la limitation de l’offre d’électricité. Cette limitation a réduit d’environ 7 % les capacités de production d’aluminium et de 29 % celles de ciment, précise Morgan Stanley, qui ajoute que le papier et le verre pourraient être les prochains secteurs touchés. Ceux de la chimie, de l’ameublement ou encore de la transformation de soja sont eux aussi affectés.

Plusieurs fournisseurs d’Apple et de Tesla ont suspendu la production de certaines usines chinoises pendant plusieurs jours afin de se conformer aux politiques plus strictes en matière de consommation d’énergie, ce qui pourrait accroître encore les difficultés dans la chaîne d’approvisionnement en produits électroniques.

En fait, la Chine est confrontée à de multiples problèmes sur ce sujet : Tout d’abord, du côté de la demande, si la consommation de charbon en Chine est si forte, c’est parce que l’hiver rigoureux a été suivi par un été plus chaud que d’ordinaire. La demande liée au chauffage, puis à la climatisation a donc été plus importante que d’habitude. On rajoute à cela, la reprise économique mondiale, donc bon nombre d’usines chinoises tournent à plein régime. Résultat, la demande d’électricité a dépassé au premier semestre ses niveaux d’avant la pandémie, selon l’Administration nationale de l’énergie, tout cela dope la consommation énergétique de l’ « usine du monde ». 

Du côté de l’offre, « la principale explication aux coupures d’électricité, c’est la pénurie de charbon », explique un analyste basé en Chine. En effet, certaines régions font face à des pénuries de charbon ou à une production hydroélectrique en berne en raison d’une faible pluviométrie. La Chine importe l’essentiel de son charbon d’Indonésie, mais le premier exportateur au monde a rencontré des difficultés à répondre à la demande de Pékin, en raison de pluies abondantes. La production en Chine, elle, a fortement reculé avec la mise à l’arrêt temporaire de 150 mines de charbon en amont des célébrations du centenaire du PCC. Enfin, alors que le pays dépend à 60% du charbon pour sa production électrique, l’approvisionnement en houille est réduit par un embargo que Pékin a de facto imposé l’an dernier aux importations australiennes, dans le cadre des tensions bilatérales entre les deux pays. Les tensions commerciales entre Pékin et Canberra et les restrictions informelles sur les achats de charbon australien ont « amplifié » la hausse des cours, note le ministère.

L’envolée du prix du charbon incite également les centrales thermiques à limiter leur production malgré la demande : elles ne veulent pas produire à perte sachant que le prix de l’électricité aux particuliers est régulé et maintenu artificiellement très bas. Autre explication, certaines provinces ont décidé d’elles-mêmes de rationner l’électricité pour tenir leurs objectifs d’émissions et d’intensités énergétiques. 

Il est important de savoir que Pékin s’est engagé à réduire son intensité énergétique d’environ 3% cette année afin de respecter ses objectifs de lutte contre le dérèglement climatique. Xi Jinping s’est engagée à atteindre son pic d’émission carbone d’ici à 2030 puis la neutralité à horizon 2060. Près de la moitié des 23 provinces chinoises ont été taclées cet été par la puissante agence de planification NDRC.

Les autorités provinciales ont parallèlement durci la mise en œuvre des mesures de limitation des émissions de gaz à effet de serre ces derniers mois, seules dix des 30 régions de Chine continentale ayant atteint leurs objectifs au premier semestre. Au cours des derniers mois, au moins 17 régions, représentant 66% du PIB du pays, ont imposé des coupures d’électricité sous une forme ou sous une autre, mais visant principalement l’industrie, selon la banque de données Bloomberg Intelligence.

La situation est si critique que l’objectif premier est désormais d’éviter les coupures d’électricité. Le Vice-Premier ministre chinois Han Zheng a donné l’ordre aux groupes d’Etat de sécuriser l’approvisionnement en énergie à n’importe quel prix. Ils sont priés de creuser dans les veines de charbon autant qu’ils peuvent, même s’ils ont dépassé leurs quotas annuels. Néanmoins, la principale région productrice, le Shanxi, a dû suspendre l’activité dans 27 mines après des pluies abondantes et des inondations. Enfin, la réglementation pour la sécurité des travailleurs chinois va être assouplie, a promis le pouvoir central.

Cet épisode lourd de menaces intervient alors que l’économie chinoise présente des signes de léger essoufflement. Elle a ainsi enregistré une croissance modeste au deuxième trimestre 2021, avec une production en hausse de 7,9%, comparé à un deuxième trimestre 2020 encore marqué par les effets de la pandémie de Covid-19. C’est en dessous des prévisions des économistes, qui pariaient sur 8,5 % de hausse. 

« Le choc d’offre d’électricité qui touche la deuxième économie mondiale, première pour l’industrie, aura des répercussions et un impact sur les marchés mondiaux », estiment de leur côté les analystes de Nomura dans une note datée du 24 septembre. « Les chocs d’offre nous ont conduit à abaisser encore nos prévisions de croissance pour le troisième et le quatrième trimestre en rythme annuel, à 4,7% et 3,0% respectivement contre 5,1% et 4,4% », précisent-ils. « Nous pensons que les marchés mondiaux vont commencer à souffrir de problèmes d’approvisionnement en textile, en jouets et en pièces détachées industrielles », avertit ainsi Nomura

CNN précise déjà qu’il s’agit de la pire pénurie d’énergie en Chine depuis 2011. « Le rationnement de l’électricité va inévitablement nuire à l’économie », déclarait alors Yan Qin, analyste principal du carbone chez Refinitiv, un fournisseur mondial américano-britannique de données et d’infrastructures sur les marchés financiers fondé en 2018. Il est donc essentiel de garder à l’œil cette pénurie d’énergie du côté chinois.

Cet article a été rédigé par Vincent B. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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