L’euphorie des IPO

IPO (Initial public offering) : Une introduction en bourse est une opération financière conduite par une société et ses différents conseils qui permet la cotation de titres de capital [actions] de cette entreprise sur un marché boursier.

Nous avons connu en 2020 une véritable euphorie sur les marchés, avec la nouvelle situation macroéconomique, les investisseurs ont réalisé une totale rotation de leurs portefeuilles pour espérer de nouveaux rendements. La constitution de portefeuille la plus connue notamment pour les investisseurs long terme est la suivante : 60% des liquidités sur le marché action et 40% sur le marché obligataire. En 2020, nous sommes passés aux alentours de 90% sur le marché action et 10% sur le marché obligataire d’après un professionnel des marchés financiers. Ces chiffres, si avérés, démontrent que même les investisseurs long terme ont été beaucoup moins averses au risque qu’auparavant et ont été appâtés par les potentiels gains sur les marchés, eux-mêmes portés par l’apport de liquidités des banques centrales. Cela a donc engendré des prises de risques de plus en plus importantes, engendrant une véritable hyper spéculation. Les marchés étant inondés de liquidités par les banques centrales, cela entraîne par mécanisme une volatilité moindre car les carnets d’ordres ne manqueront presque jamais de liquidités pour tout type d’ordre. Ainsi avec une baisse de la volatilité, cela accentue la confiance des investisseurs dans leurs prises de positions risquées.

Les investisseurs, ainsi rassurés par l’appui des banques centrales, n’ont pas hésité à investir la majorité de leurs liquidités dans des actifs risqués. En effet, au vu de la valeur des rendements obligataires qui sont très faibles avec les politiques monétaires des banques centrales, les investisseurs ont donc décidé de réduire leur exposition à ce marché et plutôt se concentrer sur le marché action. Nous allons donc aborder la spéculation dans les IPO qui a fortement rappelé l’euphorie des années 2000.

Dès mi-2020, une véritable ruée sur les IPO semble s’être opérée et cette course continue en 2021. Des grands noms tels que Airbnb, Snowflake, Palantir, Deliveroo, Doordash, Coinbase, Bumble, LucidMotors, la majorité de ces entreprises qui se sont introduites en Bourse sont des entreprises technologiques. Les valeurs technologiques étaient celles les plus en vogue pendant le Covid, profitant des mesures de confinement à travers le monde, il était donc logique que cette tendance perdure pour les IPO. Néanmoins, cette ruée vers les IPO semble moins rationnelle quand ces entreprises présentent des fondamentaux très faibles voire aucun fondamentaux. En effet, la plupart de ces entreprises n’ont pas encore réalisé de bénéfices, ont des chiffres d’affaires faibles comme Doordash qui a d’ailleurs été nommé comme « l’IPO la plus ridicule de l’année » (DoorDash sera “l’IPO la plus ridicule de 2020” estiment des analystes Par Investing.com – Actualité Financière (actualite-financiere.fr))

DoorDash, l’entreprise de livraison de repas à domicile, est parée de tous les défauts : proposée en haut cycle, car la planète va sortir du confinement et la livraison à domicile va perdre son attrait ; pas de profits au troisième trimestre malgré des conditions favorables, peu de capacité à en réaliser dans un secteur qui serait très concurrentiel ; et une gouvernance qui donne peu de droits aux actionnaires. Pourtant, vendu à 102 dollars, le titre s’est immédiatement envolé de 80 %, cotant 182 dollars à l’ouverture, ce qui valorise l’entreprise à environ 70 milliards de dollars. C’est plus que la fourchette de 90-95 dollars initialement envisagée et surtout 4,7 fois la valorisation effectuée au début de l’année. L’entreprise en a profité pour lever 3,4 milliards de dollars d’argent frais.

Certaines de ces entreprises n’ont même pas commencé la production comme le montre le cas de LucidMotors, nous rappelant d’ailleurs au passage l’histoire de Nikola Corporation, mais c’est ainsi que s’illustre cette recherche absolue du rendement, quel que soit l’investissement. 2020 aura été une année record en termes d’introductions en bourse aux Etats-Unis, avec pas moins de 420 IPO qui ont été lancées sur le marché américain, soit 88% de plus que l’année dernière, selon StockAnalysis.com. 

En termes de montants, les entreprises ont levé 145 milliards de dollars, un record sur ces 30 dernières années, comparé au précédent établi en 1999 juste avant la bulle internet. Les IPO de 2020 ont gagné 22 % en bourse, ce qui ne s’était plus produit depuis vingt ans. En moyenne, les actions cotées cette année ont grimpé d’environ 24 % par rapport à leur prix d’introduction. La corrélation inverse normalement prévue entre la volatilité du marché et l’activité d’introduction en bourse a ainsi été brisée en 2020. Les investisseurs ont en effet vu « une activité d’IPO record, non seulement pour des introductions en bourse classiques mais aussi pour des ‘offres suivies’, car les entreprises utilisent les marchés publics pour lever des fonds afin de relever les défis posés par la COVID-19 auxquels elles sont confrontées ».

L’année 2021 a démarré très fort pour les introductions en bourse. Coinbase, Deliveroo, le chinois Kuaishou, concurrent de TikTok, ou encore Coupang, le géant sud-coréen du e-commerce. A Wall Street, les entreprises se paient sur un PER – Price earning ratio, un PER au-dessus de 17 signifiant que l’action est surévaluée ou que des bénéfices futurs sont anticipés – moyen de près de 24 pour 2021 et proche de 22 pour l’année suivante, un niveau bien supérieur à sa moyenne de 18 des cinq dernières années. Les propriétaires des entreprises sont assurés de pouvoir vendre leurs titres à un prix très élevé. Depuis janvier, les indices boursiers enchaînent les records. Le S & P 500 a clôturé à un plus haut historique à 20 reprises en 2021 et il affiche déjà une hausse de plus de 16.4 %.

Cette année, environ 1.070 entreprises se sont introduites en Bourse au cours du premier semestre dans le monde, selon une étude du cabinet EY. Elles ont levé 222 milliards de dollars auprès des investisseurs. Dans les deux cas, il s’agit de chiffres record depuis au moins 20 ans. Pour comparaison, pour l’année 2020 dans sa totalité, qui était déjà une année record, on avait comptabilisé 1.500 sociétés qui se sont fait coter pour 331 milliards de dollars levés. Ainsi, on voit qu’en 6 mois, on a déjà réalisé largement plus de la moitié des IPO de 2020.

Plusieurs facteurs conjoncturels expliquent ce rebond inédit des introductions en Bourse, à commencer par l’envolée des marchés actions. L’indice MSCI All Country World a grimpé de plus de 11 % en 2021. Et ce, alors qu’il avait déjà son record historique à la fin de l’année dernière, porté par le rebond des Bourses américaines et asiatiques. Les valorisations historiquement élevées ont convaincu de nombreuses sociétés de franchir le pas, d’autant que les politiques budgétaires et monétaires de soutien à l’activité ont inondé de liquidités les marchés financiers. 

Le risque d’inflation reste présent mais a été en partie incrémenté dans les prix actuels, les investisseurs ont conscience que l’on va connaître une forte poussée de celle-ci pendant un temps mais ont actuellement confiance dans les banques centrales pour agir en cas d’urgence. Quant au risque du variant Delta, les investisseurs font encore confiance à l’efficacité des vaccins mais savent aussi que si celui-ci engendre de nouvelles restrictions sanitaires, alors les gouvernements et banques centrales continueront leurs apports budgétaire, monétaire, et fiscaux pour soutenir les économies et ainsi les marchés financiers.

La chute des rendements obligataires, maintenus à des niveaux particulièrement bas par l’intervention des banques centrales, a fait des actions la principale source de performance pour les investisseurs comme nous l’avons expliqué plus haut. Ils ont investi plus de 580 milliards de dollars dans des fonds actions au cours du premier semestre. A titre de comparaison, les flux vers les actions des 20 dernières années cumulées se sont élevés à 770 milliards. Les Bourses asiatiques sont en train de monter en puissance et ont ainsi concentré plus d’un tiers des introductions en Bourse en termes de montants levés, derrière les Amériques, et près de la moitié des opérations en volume dans le monde, devant l’Europe et le Moyen-Orient. La plus grosse IPO de l’année s’est ainsi tenue à Hong Kong : le concurrent chinois de TikTok, Kuaishou Technology , y a levé 6.2 milliards en février.

De nombreuses sociétés soutenues par des fonds de private equity ont par ailleurs réalisé leur entrée en Bourse. Une manière pour ces fonds de monétiser leurs investissements après, dans certains cas, plusieurs levées importantes au fil des ans. Souvent dans le secteur technologique, qui a représenté 284 opérations pour 90 milliards levés. Les sociétés issues du private equity ont ainsi représenté 14 % des IPO au premier semestre dans le monde, mais ont concentré plus de la moitié des montants levés aux Etats-Unis et 40 % en Europe.

La fin de l’année a de bonnes chances d’être tout aussi animée sur les marchés financiers, avec notamment de nombreuses licornes qui sont prêtes à se coter, comme la très médiatisée Robinhood. La menace du variant Delta va certainement tempérer les ardeurs des investisseurs, limitant les opportunités de hausse sur les marchés boursiers. Mais ce n’est pas le seul point d’attention : La capacité des entreprises à défendre leurs marges dans un environnement inflationniste, leur habilité à maintenir leurs volumes en dépit des difficultés d’approvisionnement et leur résistance face au ralentissement de l’activité en Chine seront passées au crible par les investisseurs. Les entreprises devront donc convaincre qu’elles peuvent continuer à prospérer indépendamment du Covid si elles veulent prospérer en Bourse.

 

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